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Charles Durand du Brûlé vous propose de lire ses courriers de lecteur...

 

Constitution : un article de trop

 

Article paru dans l'édition du 06.01.99 du quotidien Le Monde

 

La République peut conclure des accords avec des Etats qui désirent s'associer à elle pour développer leurs civilisations » (article 88 de la Constitution du 4 octobre 1958).

La révision de la Constitution exigée pour la ratification du traité d'Amsterdam devrait être l'occasion de s'interroger sur la pertinence dudit article 88. Il y a de quoi s'étonner : le dernier « toilettage » de la loi fondamentale, lors de l'adoption de la loi constitutionnelle du 4 août 1995, qui fit disparaître les articles 76 à 87 (relatifs à la communauté française) et les articles 90 à 93 (qui servirent à la mise en place des institutions), ne s'est pas intéressé à cette formulation.

Le libellé de cet article est pourtant surprenant et à même de choquer ceux qui voudraient se donner la peine de le lire. Cette disposition est un reliquat de notre histoire coloniale. Elle avait pour objet de régler la question du Laos et du Cambodge pour leur permettre de maintenir avec la France des liens qui se situeraient dans le cadre du droit international.

Le projet de Constitution fut examiné par la commission constitutionnelle du Conseil d'Etat les 25 et 26 août 1958. Le texte préparé par le rapporteur était alors ainsi formulé : « Il peut être formé entre la République et les Etats qui manifestent la volonté de s'unir à elle une association d'Etats libres en vue de développer leurs civilisations » (art. 73). La commission d'étude du Conseil d'Etat ne s'y montra pas favorable pour des questions de politique générale liée au statut de certaines colonies sur le point de cesser de l'être. Dans tous les cas, la discussion portait sur le contenu de la disposition, l'accord n'étant pas fait sur la création d'une communauté ou d'une association d'Etats libres.

L'avant-projet diffusé en vue du conseil des ministres du 3 septembre 1958 prévoyait à l'article 88 : « La République ou la communauté peuvent conclure avec des Etats des accords comportant la mise en commun de certaines compétences pour développer leurs civilisations. » A l'issue de la réunion, le gouvernement avait effacé le caractère égalitaire du texte en adoptant le libellé qui devait figurer dans la Constitution du 4 octobre 1958 : « La République ou la communauté peuvent conclure des accords avec des Etats qui désirent s'associer à elle pour développer leurs civilisations. »

Ainsi rédigé, l'article 88 postulait, chez les Etats intéressés, un stade de civilisation inférieur à celui de la République, postulat qui pouvait surprendre de la part d'un peuple qui a fait de l'égalité plus qu'un principe, un dogme.

En admettant que la formulation malheureuse fût dépourvue de mépris et simplement chargée de paternalisme, la référence à « la communauté » pouvait renvoyer au contexte bien précis de 1958 et à la décolonisation. A partir du moment où, en 1995, tout rappel de la situation d'alors était effacé, le texte prenait une autre dimension. La formule lapidaire - isolée sous le titre XIV portant sur « les accords d'association » - claironna alors, impudente, la prétention d'ériger la France en parangon de civilisation.

Toutefois, si cela ne suffisait pas à condamner cette disposition jamais utilisée, sa localisation dans la Constitution le ferait, elle, sans appel. Tenu d'insérer dans la loi fondamentale les dispositions relatives aux Communautés européennes en préalable à la ratification du traité de Maastricht, le constituant fixa, en 1992, la place qu'il attribuait à l'Europe aux articles 88-1, 88-2, 88-3 et 88-4, qui « dérivent » ainsi de l'article 88. Le passage du titre XIV de l'article 88 au titre XV pour les articles relatifs aux Communautés européennes et à l'Union européenne ne parvient pas à atténuer l'ambiguïté créée par la filiation numérique.

Même si la doctrine n'a pas relevé l'incongruité de l'article 88, même si les partenaires de la France et ceux qui concluent des accords avec elle veulent bien l'ignorer, il convient, par pudeur, par bienséance, de le supprimer. Le conserver serait donner raison et une arme à ceux qui, à l'étranger, brocardent une supposée arrogance française.

par Carmenza Charrier

 

 
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