La question est, dit-on, à l’ordre du jour : faut-il, comme
en France métropolitaine, remplacer les pompes des stations-service
d’ici par des distributeurs automatiques ? Faut-il donc, ici
aussi, supprimer, comme cela a été fait là-bas, les emplois de
pompistes, au nom j’imagine, de la rentabilité ? Si nous avons
eu l’occasion de conduire une voiture en France, nous savons ce qui
se passe quand nous arrivons dans une station d’essence. On se sert
soi-même et on va payer à la caisse ce que l’on doit. Ici, chez
nous, c’est un employé de la station-service qui nous sert. Et,
sans nous poser de question, on va payer... Il y a de cela de bien
nombreuses années, entre les pouvoirs publics, les gérants de
stations-service et les sociétés de produits pétroliers, il avait
été convenu que la vente de carburant pourrait être l’occasion de
créer plusieurs centaines d’emplois. Il en fut ainsi fait. C’est
ce que, fort justement, M. Charles Durand,
un habitant du Brûlé à Saint-Denis, appelle, dans un tout récent
courrier de lecteur, « l’intelligence sociale des gérants de
stations-service »... L’automobiliste participe ainsi à la
lutte contre le chômage. Dans notre île où ce problème, loin
s’en faut, n’est pas banal, cela doit être apprécié à sa
pleine mesure. Et Charles Durandn’est
pas seul à y penser quand il écrit que « si je dois ajouter un
ou deux centimes par litre à ma facture de carburant, alors je le
fais avec grand plaisir ». Faut-il, au nom de je ne sais quelle
modernité, que notre île s’aligne sur ce qui se fait ailleurs, même
si cet ailleurs n’a rien à voir avec notre réalité et que notre
façon de procéder est parfaitement et judicieusement adaptée à nos
spécificités ? On a envie de le crier haut et fort : ne
touchez pas à cette façon que nous avons de vivre notre sentiment réunionnais
de solidarité ! Ne nous mettez pas partout vos automates qui,
parce qu’il faut améliorer certaines rentabilités, agrandissent de
fait le trou du chômage ! Ne nous imposez pas vos visions rétrogrades
du rapport entre les hommes ! Et faisons nôtre, là aussi, la
pensée exprimée par Edgar Morin et que le “billet philosophique”
de Roger Orlu rappelait dans le numéro de vendredi de “Témoignages” :
« Il importe de refonder la notion de développement, dont
l’application, partout dans le monde, détruit les solidarités
traditionnelles, fait déferler la corruption et l’égocentrisme. Il
faut que la notion de développement se métamorphose en celle d’épanouissement ».
Raymond Lauret