Démocratie : restons vigilants !

Les résultats du second tour de la présidentielle pourraient laisser croire que tous les risques de recul de la démocratie sont écartés. Or, sur les 46 millions de Français qui ont le droit de vote moins de 26 millions ont voté "Chirac", soit à peine 55 % : c'est la majorité, indiscutable certes, mais pas aussi massive que ne pourraient le laisser penser les 82 % brandis par tous les médias. A la Réunion, le même calcul aboutit à une proportion de 58 % : c'est mieux mais très loin des 92 % brandis pour nous rassurer. La proportion de ceux qui ne sont pas inscrits, des inscrits qui ne vont pas voter et de ceux qui votent "blanc ou nul" reste donc très importante et relativise singulièrement ce qu'on qualifie de "pouvoir du peuple" : la démocratie.

Il faut donc rester très vigilant car notre société est gangrenée bien plus par l'exclusion que par l'insécurité.

Auto-exclusion volontaire de tous ces Français qui ne votent pas et qui interpelle fortement sur la réalité de notre démocratie.

Exclusions involontaires ayant en arrière-plan les comportements racistes dont la Réunion aurait bien tort de se croire à l'abri. Un récent sondage réalisé localement mettait en relief un certain rejet des derniers immigrés Mahorais ou Comoriens. La description "à l'eau de rose" d'une Réunion tolérante et multiraciale ne doit pas conduire à relâcher notre vigilance sur les comportements racistes, séquelle persistante d'une société esclavagiste dont le "cadavre bouge encore". Dans la langue créole elle-même, on entretient une certaine ambiguité : se faire traiter de comore, de caf, de maoulé, de zarabe, de mangeur d'jaquot, de zoreille peut dénoter une certaine affection, mais aussi beaucoup de mépris et de rejet selon les circonstances…A l'occasion des législatives il nous faudra être vigilants sur les propositions des candidats. Veut-on perpétuer le côté "terre d'accueil" de l'île en acceptant d'intégrer tous les immigrants quelque soit leur couleur, leur religion, leurs bruits et leurs odeurs (comme le déclarait scandaleusement il y a quelques années l'actuel champion de notre démocratie) ? Ou bien, veut-on filtrer les nouveaux arrivants en rejetant ceux sur lesquels on a des préjugés défavorables, préjugés basés sur des critères plus ou moins avouables ?

N'oublions pas que rejeter l'Autre est toujours, d'une certaine façon, se rejeter soi-même.

Charles Durand (Saint-Denis)