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Charles Durand du Brûlé vous propose de lire ses courriers de lecteur...

 

L ''honneur de la France " ?

Depuis plusieurs semaines, vous publiez des courriers de lecteurs mécontents de la “position” de la France vis-à-vis de ce qui se passe à Madagascar depuis fin 2001. L’un des derniers en date, dans votre édition du jeudi 21 mars, ne vient pas de n'importe qui puisqu'il est signé du frère André Lengder, avec toute l'autorité morale que cela lui confère.
Sans vouloir remettre en cause les bonnes intentions des uns et des autres, je voudrais, en toute modestie, leur faire observer que leurs propos confortent une approche très traditionnelle et colonialiste des rapports entre les peuples. Il me semble que c'est faire injure aux Malgaches que de considérer qu'une intervention de la France, fût-elle verbale et diplomatique, en faveur de l'un ou l'autre des “belligérants” est nécessaire pour résoudre leurs difficultés.
Pour ma part, je pense sincèrement que, depuis fort longtemps, avant même que la métropole ne leur concède l'indépendance après la leur avoir confisquée par la force, les Malgaches sont adultes et majeurs et aptes à prendre, seuls, leur destinée en main : le temps de la colonie est révolu, n'en déplaise aux nostalgiques de ce “bon vieux temps”. Qu'il y ait, à un moment donné, des difficultés dans l'exercice du pouvoir à Madagascar est simplement le signe d'une grande maturité de nos voisins. Après tout, il n'y a pas si longtemps, une situation aussi ambiguë est apparue aux États-Unis, et pourtant, on n'a pas demandé aux Malgaches, ni à d'autres, de prendre position officiellement pour défendre le candidat le plus honnête ou le moins corrompu. Un des candidats s'est quasiment autoproclamé et le monde entier, ou presque, n'a eu qu'à acquiescer.
Qu'est-ce qui permet aux uns et aux autres de condamner, sans jugement impartial organisé (comme celui d'un tribunal international) le régime de Didier Ratsiraka ? A-t-on des preuves irréfutables ? L'accusé a-t-il eu la possibilité de se défendre ? Ceci ne veut pas dire que j'approuve en quoi que ce soit ce qui est rapporté par les médias sur ce régime politique. Mais le fait que des foules massives apportent leur soutien à Marc Ravalomanana ne constitue pas non plus un gage d'approbation de l'ensemble de la population sur sa prise de pouvoir ; il est pour le moins surprenant que les thuriféraires de la démocratie se contentent de ces manifestations de rue pour en tirer des conséquences définitives sur l'un ou l'autre des postulants au pouvoir.
Mon parcours personnel (France, Afrique du Nord, Réunion, Zaïre, Polynésie française) m'a montré que les jugements à l'emporte-pièce, basés sur des rumeurs, des ladi-lafé, sont très risqués et souvent erronés. Porter un jugement sur quelqu'un, sur un peuple, sur un régime politique, sur un dirigeant est un exercice hautement acrobatique et, à chaque fois qu'on est tenté de le faire, il faut absolument se poser certaines questions : de quel droit je porte un jugement, sur la base de quels faits prouvés et avérés, le ou les accusés ont-ils la possibilité de contredire mon jugement ?
Du coup, on devient singulièrement plus modeste et, en général, on s'abstient de porter ces jugements. Porter un jugement implique aussi d'avoir une vision des choses au travers d'un prisme culturel, éducatif, personnel qui déforme nécessairement l'objectivité dont on voudrait se prévaloir.
L'analyse de tous les régimes politiques de la planète au travers de la sacro-sainte démocratie me semble partie des écueils qui perturbent notre jugement. Il y a quelques siècles, c'est la féodalité qui, du moins en Europe, pour ce que j'ai pu en lire, qui était le modèle. Actuellement, c'est la démocratie. Qu'en sera-t-il dans quelques centaines d'années ? Le regard porté sur la démocratie à la sauce actuelle a de grandes chances d'être voisin de la commisération que nous portons sur la féodalité et l'esclavage. Soyons donc modestes avant d'imposer nos vérités aux autres. Que chacun s'exprime avec sa sensibilité, sa préférence politique, ses a priori ne me choque pas du tout puisqu'il y va de la libre expression de chacun. Mais, quant à souhaiter et demander une intervention de la France, il y a un pas énorme qu'il faut éviter de franchir. De grâce, faisons preuve d'un peu de modestie et arrêtons de vouloir tout régenter chez nos anciens affidés par contrainte. C'est actuellement, pour ce que j'en sais, une affaire intérieure à Madagascar : c'est aux Malgaches et à eux seuls de la résoudre dans leur grande sagesse. Dans notre vie familiale, il nous coûte souvent de devoir considérer nos enfants comme étant devenus adultes. La conséquence la plus fréquente en est une difficulté pour l'enfant ou l'adolescent à prendre ses responsabilités d'adulte.
En ce début de 21e siècle acceptons enfin de reconnaître que nos anciennes colonies ont toujours été adultes, avec leurs spécificités culturelles et politiques et que nous eussions été bien inspirés d'écouter leur sagesse, d'apprendre leurs savoirs et leurs savoir-faire plutôt que de prétendre leur apporter “la” vérité, qui n'est finalement qu'une toute petite vérité parmi bien d'autres. C'eût été tout à notre honneur, l'honneur de la France.

Charles Durand (Saint-Denis)

 

 
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