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Charles Durand du Brûlé vous propose de lire ses courriers de lecteur...

 

COURRIER DES LECTEURS  *  JIR du 18 mars 2006.


Séroprévalence : réponse à M. Durand

 
Nous remercions la rédaction du JIR d’accepter de publier ces lignes à la suite du courrier de M. Durand paru dans le JIR du 14 mars 2006. Nous remercions M. Durand qui par sa critique directe et franche, a le mérite de lancer une discussion scientifique tout à fait pertinente et importante à laquelle les lecteurs du JIR auront ainsi, grâce à lui, acquis un droit de regard.
C’est un événement suffisamment rare pour être souligné. Dès que l’épidémie de chikungunya a explosé en janvier dernier sur l’île, nous avons disposé d’estimations hebdomadaires sur l’ampleur du phénomène. Elles reposaient sur des extrapolations réalisées à partir du nombre de patients ayant consulté les médecins sentinelles de l’île pour une maladie de chikungunya. Nous n’avions alors aucune idée de la proportion des personnes infectées par le virus du chikungunya sur l’île, alors que nous savions que pour beaucoup d’autres maladies virales, il existe des porteurs sains, ou des personnes développant peu de symptômes. Personne ne savait par exemple si 15, 20 ou 80% de la population avait été en contact avec le virus. Or la population réunionnaise avait besoin de savoir si l’épisode épidémique qu’elle était en train de vivre avait de grande chance désormais d’être derrière elle ou non. Et les autorités aussi, pour adapter éventuellement leurs décisions. Pour répondre à ces questions, il fallait mettre en place une enquête de séroprévalence, c’est-à-dire doser les anticorps anti-chikungunya auprès d’un échantillon représentatif de la population. Il fallait d’abord constituer la base d’échantillonnage, ensuite demander aux personnes tirées au sort leur consentement pour participer à l’enquête et envoyer des enquêteurs réaliser les prélèvements pour enfin les acheminer au centre national de référence sur les arboviroses de Lyon. Nous avons rapidement compris que nous ne disposerions des résultats d’une telle enquête, dans le meilleur des cas, que trois ou quatre mois plus tard, à une époque où ils seraient sans doute obsolètes, l’épidémie ayant continué ses basses œuvres sans attendre les chercheurs. Nous avons donc eu recours à une méthodologie certes un peu moins académique, comme le souligne M. Durand, mais pragmatique et rapide, très utilisée dans un passé récent lorsque l’on a voulu savoir le statut de séropositivité pour le VIH de nombreuses populations du monde, dans les années 90. Il s’agissait donc aujourd’hui de recourir à une banque de prélèvements disponibles issus d’une population vivant à la Réunion. Les dons de sang ayant été suspendus dans l’île en 2006, nous ne pouvions pas recourir à cette source de données qui n’était donc pas disponible pour la période épidémique qui nous intéressait. Les femmes enceintes donnant en début de grossesse un tube de sérum pour le dosage des anticorps contre la toxoplasmose et qui est conservé pendant un an, nous avons acquis l’assurance que l’utilisation d’un petit volume (100 microlitres) de ces tubes permettrait de réaliser très rapidement une étude de séroprévalence du chikungunya auprès de cette population. La population de femmes enceintes est-elle représentative de celle de la Réunion ? Non, bien sûr, M. Durand a raison de le souligner. Nous l’avons expliqué dès la mise en place de l’étude et nous l’avons rappelé à la presse lorsque nous avons communiqué nos résultats. Il y a, au moins, deux sources de biais pouvant avoir un impact sur ces résultats : en un sens, les femmes semblent plus souvent atteintes que les hommes dans cette épidémie de chikungunya, et ainsi nos extrapolations peuvent être surestimées, et dans l’autre sens, les femmes enceintes se protègent peut-être plus efficacement que le reste de la population, ce qui tendrait à les sous-estimer. La démarche que nous avons adoptée est d’explorer cette épidémie avec les meilleurs instruments possibles disponibles à un instant donné. Nous soutenons que la banque des sérums des femmes enceintes de l’île représentait fin février 2006 le meilleur instrument possible pour fournir des estimations de la séroprévalence sur l’île début mars. Sans prétendre avoir atteint la "perfection méthodologique". Les chiffres que nous avons annoncés, environ 20% de séroprévalence, s’ils sont critiquables, car en sciences, tout résultat est toujours critiquable, ne représentent pas moins, la première - et à ce jour la seule - estimation disponible de la fraction de la population infectée dans l’île à la mi-février 2006. Doit-on pour autant renoncer à une meilleure approche méthodologique ? Nous voudrions rassurer M. Durand sur ce point. Nous pensons, dans le même sens que lui, qu’il faudra réaliser, probablement vers la fin de cette vague épidémique, c’est-à-dire durant les mois d’hiver 2006, une enquête de séroprévalence portant sur un échantillon représentatif de la population réunionnaise. Et nous savons que le centre d’investigation clinique de la Réunion s’attelle à ce projet dès à présent. Est-ce que nos résultats préliminaires, parce qu’imparfaits, n’apportent aucune information utile aux décideurs ? Nous ne le pensons pas. En disant que possiblement 80% de la population réunionnaise restait à risque de contracter la maladie, nous pensons que nous attirons l’attention sur la nécessité de ne pas relâcher la vigilance. Même si l’épidémie est sur sa pente descendante, il faudra rester vigilants, organiser la prévention à tous les niveaux de la société réunionnaise. Prévoir plus à l’avance l’impact d’une éventuelle nouvelle vague épidémique l’an prochain. C’est cela aider à anticiper. C’est un peu cela que l’on demande aux chercheurs, même imparfaitement. Nous découvrons lors de cette épidémie, qu’il faut impérativement repenser nos approches méthodologiques pour éclairer les politiques publiques. Nous sommes en train de dessiner avec les scientifiques de la Réunion et de métropole un canevas original qui pourrait apporter des éléments de solution à l’épidémie de chikungunya en cours, et qui sera formidablement utile pour l’exploration des maladies émergentes à venir ici ou ailleurs. Il faut en particulier réfléchir sur quelle base nous préférons que les autorités appuient leurs décisions publiques. Voulons-nous que ces décisions reposent sur des données imparfaites mais qui ont le mérite d’être factuelles, ou uniquement sur des intuitions d’experts, voire sur des rumeurs non fondées, comme c’est nécessairement le cas en l’absence - ou dans l’attente - de données et de faits ? Il nous faut aussi écouter les arguments de M. Durand. Les faits que nous rapportons ne sont pas exempts d’incertitudes et d’imprécisions. Comme lui nous semble-t-il, nous ne voudrions pas qu’ils soient sur-interprétés.

Antoine Flahault, Patrick Hervé, François Favier, Xavier de Lamballerie Pour la cellule de coordination des recherches sur le chikungunya, la Réunion et Paris, le 16 mars 2006

 

 

 

 
 
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